InnocenceL’homme s’approcha doucement de la jeune femme, son corps musclé frôlant la fine étoffe qui couvrait les formes voluptueuses dont elle avait si honte, autant de marques de tentation et, donc, de péchés. Le souffle chaud de l’inconnu chassa la froideur du corps d’Amélia, et des mains si fines qu’on aurait dit celles d’une femme se posèrent délicatement sur ses hanches, faisant frémir le tissu autant que la chair pâle en-dessous. Elle sentit en sursautant les lèvres étrangères caresser sa nuque, et une langue pointer entre ce qu’elle devina comme un sourire.
L’une des mains remonta sur la tunique pour frôler son sein droit puis se perdre dans son abondante chevelure couleur d’ébène, massant le cuir chevelu et arrachant malgré elle un petit gémissement. L’autre se glissa plus bas sur son corps, palpant de façon experte ses formes. Elle sentit un mélange de dégoût et de curiosité l’envahir, d’envie et de terreur emplir son corps d’une chaleur moite. Elle sentit le désir de l’homme et le sien ne faire qu’un dans une danse langoureuse, au cœur d’un silence que ses gémissements et grognements brisaient parfois...Amélia se réveilla en sursaut sur sa paillasse, le corps brûlant, de la sueur et d’autres humeurs couvrant sa peau d’albâtre de petites gouttes luisantes sous la lueur d’une bougie unique. Ses yeux agars, d’un vert éclatant, se posèrent sur les murs de lithobéton du monastère de Notre Dame des Douleurs, forteresse de l’Adeptus Sororitas.
Malgré la chaleur de son corps, une chaleur honnie et détestable, elle se surprit à avoir froid. Mais au lieu de se draper dans le tissu rêche lui faisant office de drap, la novice le rejeta avec force au sol, comme pour se punir. Des larmes de honte et d’effroi tracèrent deux sillons argentés sur ses joues alors qu’elle se jetait à son tour au sol, à genoux, implorant le très saint Empereur de lui pardonner ses sombres envies, et de l’aider à combattre ces pensées impures qui souillaient son âme.
* * *
Combien de temps dura sa prière, Amélia n’en sut rien. En pleine méditation, les larmes ayant depuis longtemps séchées et la bougie complètement fondue, elle ne fit pas attention aux étranges lumières qui filtraient par la lucarne grillagée de sa cellule. Un vrombissement sourd précéda le son artificiel des cloches, signal d’alarme qui se répercuta dans les sombres couloirs de Notre Dame des Douleurs.
Amélia sortit de sa transe religieuse et se leva d’un bond. Elle ouvrit rapidement le coffre situé à côté de sa paillasse et revêtit sa tunique noire frappée du symbole des novices. Rabattant sa capuche qui ne laisserait visibles que son menton, sa bouche et les quelques mèches de cheveux rebelles, elle saisit presque cérémonieusement la longue épée monomoléculaire rangée dans un fourreau qu’elle ceignit à la taille. Un pistolet laser était rangé dans un holster de l’autre côté de la ceinture ; sur cette planète, réputée hostile, toutes les jeunes filles du monastère étaient armées jusque dans leurs cellules, la menace peau-verte étant trop grande. Elle signa ses armes et se signa elle-même avant d’ouvrir la porte de sa cellule.
Des novices couraient dans les couloirs, l’une d’entre elles manquant de renverser Amélia. Toutes vêtues identiquement, il fut impossible à la jeune fille de reconnaître l’une ou l’autre de ses plus proches amies. Bien que toutes sœurs, on tolérait encore chez les novices les rapprochements amicaux, destiné à créer des escouades où l’entente serait la meilleure, ou au contraire à déceler des amitiés trop fortes – voire même hérétiques – et à agir avant qu’il ne soit trop tard.
La novice voulut interroger l’une de ses sœurs, mais, arme au poing pour certaines, toutes couraient sans s'arrêter. Abandonnant l’idée d’en apprendre plus sur l’attaque que subissait le monastère, Amélia s’engagea dans les tortueux couloirs de lithobéton noir afin de rejoindre son unité. Les cloches carillonnaient si fort que les sœurs devaient hurler pour se faire entendre et il apparut bien vite que personne parmi les novices se savait de quoi il retournait à l’extérieur.
Amélia faillit chuter lorsqu’une détonation précéda un tremblement qui arracha un nuage de poussière au plafond et aux murs. Quelques unes des jeunes filles s’étalèrent de tout leur long. Les torches crachotantes accrochées aux murs par des torchères sculptées s’éteignirent sous la déflagration.
Deux autres tremblements agitèrent les murs et des gravas s’effondrèrent sur les jeunes femmes, Amélia tombant cette fois-ci au sol. Des cris, des jurons et des pleurs étouffés résonnèrent dans la pièce centrale où arrivait la novice quand l’attaque commença. Amélia se relevait difficilement quand une lueur plus vive et blanche que celle des torches se posa sur les corps allongés. Une voix sévère domina le tumulte de la bataille.
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Mesdemoiselles, je ne me rappelle pas vous avoir enseigné à vous coucher au sol quand l’ennemi attaque nos murs ! tonna la voix,
alors en rang et suivez moi au hangar sept !! Pour l’Empereur !!!Amélia reconnut avant de la voir la Sœur de Batailles Tarja, une femme aussi belle que redoutable. L’armure noire aux multiples insignes religieux et impériaux s’imposa à elle alors que le lumiglobe intégré diminuait en intensité, révélant le beau visage aussi froid que celui d’une statue de la supérieure, sa balafre rougissant sa peau au niveau de l’œil droit. Ses cheveux coupés courts caressaient ses joues, et le bleu acier de ses yeux semblaient percer les âmes des novices.
Sa main droite enfermée dans un imposant gantelet d’arme tenait un puissant bolter, arme sainte utilisée habituellement par l’Adeptus Astartes. La jeune novice n’avait jamais vu cette terrible arme à l’œuvre, mais connaissait la vitesse et la force des munitions bolts, capables de déchirer les parois de plastacier, les armures de plaques comme celle de la Sœur Tarja et plus encore. Les armes bénies par l’Empereur, frappées de nombreux sceaux de bénédiction.
Les novices encore sonnées par leur chute se reprirent très vite, encouragées par la présence et la voix de la Sœur de Batailles. En quelques minutes, une quinzaine de jeunes femmes couraient dans les couloirs menant au hangar sept, sur les talons de la femme au bolter. Amélia pria tout le long, tant et si bien que les mots franchirent ses lèvres pincées et la prière fut reprise par ses sœurs. Gonflant leur courage, taisant leur frayeur, ces mots libérèrent encore plus d’adrénaline dans le corps virginal des guerrières de l’Empereur. C’est enhardie par sa foi et sa ferveur que l’escouade d’Amélia arriva dans le hangar sept.
La porte de plastacier céda à ce moment, libérant une grande vague de sable du désert, porté par un vent chaud non-naturel. Dehors, alors qu’une nuit noire était encore censée régner, des lueurs fantasmagoriques éclataient comme autant de feu d’artifices, mais plus lentes, comme au ralenti. Certaines des sœurs s’effondrèrent à leurs vues, se tortillant au sol dans des postures équivoques et gémissantes de plaisirs ou de douleur, souvent mêlées. Puis des silhouettes en armure apparurent dans la brèche.
Plus de deux mètres de haut, les armures impies arborant des camaïeux de bleu, d’indigo, de violet et de rose se déversèrent dans le hangar, précédées d’hommes et de femmes en haillons braillant un sombre langage et couverts de marques de fouets et de scarifications. Ces derniers armés de tubes en métal, de couteaux ou de hachettes se jetèrent sur les lignes des Sœurs de Batailles, semblant ignorer les nombreuses pertes dues aux tirs laser. Mutants pour la plupart, leur nombre ne semblait pourtant pas diminuer et, malgré les tirs précis des sœurs, les cultistes menaçaient de déborder les quelques saintes guerrières quand Tarja hurla ses ordres.
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Purification ! Mes sœurs, que les flammes bénies de l’Empereur effacent la souillure de leurs âmes !!
- Pour l’Empereur !!Cinq sœurs reprirent en chœurs le cri de guerre puis une litanie s’éleva sur le champ de bataille, transcendant les cris, les hurlements et le fracas du combat. Ces sœurs se mirent en arc de cercle et brandirent les redoutables lance-flammes impériaux. En simultané, cinq langues de flammes embrasèrent les corps de dizaines de cultistes, l’odeur infecte du carburant calciné se mêlant à celle encore plus atroce de la chair brûlée. Profitant de ce court répit, les sœurs se remirent en position, achevant les blessés qui traversèrent le rideau de flammes.
Amélia tirait sans discontinuer et sans cesser de prier. Le compteur de son arme se rapprochait désespérément vite du zéro, et elle ne possédait pas de cellule énergétique de secours. Les corps de ses sœurs gisaient déjà au sol par dizaines quand les Space Marines du Chaos firent feu. Les bolts impies fauchèrent les rangs de la Sororitas avec une effroyable efficacité.
Tarja vida son chargeur sur les silhouettes en armure qui ne prenaient pas la peine de s’avancer, de nombreux cultistes leur servant encore de boucliers vivants. Se mordant la lèvre inférieure de frustration, elle fit signe aux survivantes de battre en retraite. Alors que les sœurs se ralliaient dans les couloirs, les abominations du Chaos s’en donnèrent à cœur joie et en assassinèrent encore beaucoup avant que les portes de plastacier ne donnent aux impériales quelques temps de répit.
Malgré l’épaisseur de la porte et le feu des armes, les rires déments des Marines du Chaos parvinrent aux oreilles des Sœurs de Batailles épuisées et démoralisées. Seule Tarja semblait imperturbable, rechargeant son arme en murmurant des prières vengeresses. Son regard se posa sur Amélia qui, sans plus de munition, se tenait lame au clair, attendant calmement la fin.
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Novice Amélia, appela-t-elle, v
ous avez bien combattu.
- Merci ma Sœur, répondit timidement la jeune femme qui ne put s’empêcher de rosir sous le compliment
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J’ai une mission pour vous. Allez jusqu’au poste de communication, et assurez-vous qu’une demande d’aide a été bien envoyée. Dans le cas contraire, faîtes le.
- Compris ma Sœur, à vos ordres.
- Et que l’Empereur vous garde…La porte trembla alors sous des coups répétés. Le bruit caractéristique des armes tronçonneuses précéda des étincelles et les premières dents de métal traversèrent le plastacier. Les sœurs se positionnèrent alors qu’Amélia s’engouffrait dans un couloir, tentant d’éviter les regards envieux de certaines novices. Elle ne put s’empêcher cependant de sentir la jalousie et la haine, entretenues par la présence toute proche des créatures blasphématoires servant le Prince des Plaisirs. La monstruosité créée par les Eldars. L’une des quatre puissances de la Ruine. Slaanesh.
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Amélia para le coup maladroit d’un cultiste et, sans un mouvement d’hésitation, trancha la gorge découverte de l’homme. Son autre bras, terminé par un tentacule visqueux, tenta d’enserrer la jambe de la novice, mais elle fut plus prompte. D’un coup ciblé, elle trancha l’appendice mutant qui gigota un moment avant de devenir inerte. La présence des mutants aussi proches du poste de communication laissait entendre que d’autres brèches s’étaient ouvertes dans les flancs de Notre Dame des Douleurs. Et que les sœurs n’avaient pas tenu comme au hangar sept.
Elle arriva enfin devant les cogitateurs, pour la plupart endommagés par les tirs, les trous encore fumants. Des corps de sœurs et de cultistes jonchaient le sol. Amélia se retourna vivement quand une silhouette apparut derrière elle. La sœur Tarja saisit le poignet de la jeune femme avec force, arrêtant le coup descendant de l’épée monomoléculaire, braquant son bolter sur une forme apparemment morte derrière elle. Le bolt explosa la tête du mutant qui allait se relever. Puis la sœur s’affaissa dans les bras de la novice, un filet de sang perlant de sa commissure droite. Son armure était également tâchée. Bien que mourante, Tarja conservait toujours de la force dans sa voix.
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Ils… ils sont trop nombreux… trop forts… le… le message… ?
- Envoyé ma sœur, mentit Amélia en se giflant mentalement.
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Alors tout est bien… je te lègue mon armure et mon arme… sœur Amélia...
- Non…La mort emporta dans un ultime sursaut la Sœur de Bataille Tarja. Amélia pleura en silence, priant l’Empereur d’accueillir sa fille auprès des justes. La novice se pencha sur le dernier écran en état de fonctionnement. Le message de secours avait bien été envoyé. Heureuse de ne pas avoir mentit pour rien, la jeune femme pleura encore quelques minutes.
Puis, lentement, tremblant de tous ses membres, elle entreprit de dévêtir la sœur. Elle passa sur sa tunique la combinaison noire qui permettrait à sa peau de supporter les plaques d’armures. Equipée de pied en cape, armée d’un bolter qui semblait vibrer de rage et d’envie de vengeance, échos métalliques à ses propres envies, la nouvelle sœur s’avança dans les couloirs étrangement calmes du monastère. Les bruits de combat avaient semblait-il cesser.
Elle passa devant d’innombrables corps. Mais ceux des ennemis avaient disparu. Les murs étaient zébrés de griffures. Amélia trembla à l’idée de la force nécessaire pour entamer le lithobéton. Ses pas la menèrent de nouveau dans le hangar sept. Des flammes se chargeaient de dévorer les cadavres noircis des cultistes. Un Space Marine apparut, porteur du symbole du désir et de la concupiscence. Ses organes génitaux sortaient de son armure, énorme et dressé. La jeune femme ravala la bile qui lui montait dans la gorge et braqua son arme. La munition explosive toucha l’entrejambe qui vola en éclat. Le traître à l’Empereur hurla de douleur et d’horreur en tombant à genoux, mais aussi d'une répugnante extase.
Une ombre passa dans le champ de vision de la sœur qui se retourna pour se trouver nez à nez avec un homme sans armure, richement vêtu et d’une beauté saisissante. Ses mains fines se posèrent sur le canon brûlant du bolter et sous la cuisante douleur, gémit de plaisir. De son autre main, il caressa tendrement – amoureusement même – la joue fraîche de la sœur, qui, tétanisée, observait celui qui hantait nuit après nuit ses rêves.
Amélia ne sut quoi faire. Elle voulait lever son arme sur ce visage au sourire canaille, mais quelque chose l’en empêchait. Non pas la force de l’homme, mais une boule de chaleur et de moiteur dans son bas-ventre. Elle tenta de combattre ses instincts primaux qui désignaient cet être repoussant comme étant un partenaire idéal.
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Pourquoi résister mon amour, susurra l’homme en se rapprochant,
pourquoi ne pas te laisser aller contre moi… tu as froid, regarde… tu trembles…Amélia tremblait. Non de froid, mais de terreur. Et de haine. Envers cet être, envers son faux dieu, envers la nature qui la fragilisait tant. Puis elle cessa de trembler. Ses yeux s’étrécirent, et elle leva son autre bras qui repoussa sans ménagement l’homme damné. Ce dernier s’effondra au sol en ricanant.
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Ahhh… j’adore que l’on me résiste… mais crois-moi, dit-il plus sombre,
je vais te faire découvrir des plaisirs que tu n’osais imaginer, pas même dans tes rêves les plus torrides…Mais Amélia ne l’écoutait plus. Ni le bruit du vaisseau à l’extérieur, ni celui des flammes, ni les bruits de pas des Space Marines l’entourant peu à peu. Seule une voix s’élevait, celle d’une femme au caractère fort. Elle ne sentait plus l’odeur de la chair brûlée, de l’acier rougit par les flammes ou celle entêtante de ces monstres du Chaos. Seulement celui du saint encens lors des prières communes. Et la chaleur qui l’envahissait ne montait plus de son bas-ventre, n’était plus humide d’un désir corrompu. Elle voyait son origine dans un feu intérieur, purificateur, son âme brûlait du désir de vengeance et d’éradication de ces abominations. Elle leva son arme et vida son chargeur.
Celles des Space Marines du Chaos lui firent écho.
Son innocence fut préservée.
FIN