Zwag marchait depuis des heures dans la forêt, évitant quand il le pouvait, les dernières congères de neige qui finissaient de fondre en ce début de printemps. Il avait entendu parler de l’histoire de Wil', cet avorton devenu chaman, et il voulait lui aussi se trouver un arbre magique afin d’obtenir les pouvoirs du Grand Vert, et ainsi prendre sa place. Zwag mesurait bien cinq centimètres de plus que Wil', sa supériorité était donc indiscutable.
Le gobelin avait bon espoir même si une petite voix lui hurlait de rentrer au camp, mais une autre lui faisait remarquer qu’il était perdu, donc autant continuer les recherches.
Zwag écarta deux buissons et resta ébahi par la taille immense de l’arbre devant lui. Il était si grand que l’on n’en voyait pas le sommet, et ses racines si larges que l’on pouvait croire qu’une porte permettait l’accès à l’intérieur. Le gobelin rit à cette idée saugrenue : qui serait assez stupide pour vivre dans un arb…?
La réflexion du gobelin ne put aller plus loin car une flèche, à l’empennage blanc, venait de traverser son crâne.
Une jeune femme se laissa tomber sans bruit d’un arbre et partit récupérer sa flèche.
Son armure de cuir blanc et gris la dissimulait parfaitement dans la forêt enneigée. Sa peau blanche était recouverte de tatouages, certains pour son clan de Sehenlu et d’autres en signe de son haut rang. Ses cheveux, d’un roux flamboyant, étaient nattés, laissant ses yeux gris capter le moindre mouvement autour d’elle. Elle était armée d’un arc, d’une lance et d’une épée et son carquois dans son dos était rempli de flèches aussi diverses que leurs fonctions.
Elle était en train de nettoyer sa flèche, quand des bruits de pas indiquèrent l’approche d’un autre elfe.
Celui-ci était bien différent de la femme. Il ne portait ni armes, ni armures, et sa robe traînait dans la neige sans se salir. Des feuilles d’arbres se mêlaient à ses longs cheveux verts.
« Belle prise noble Eöglyn Yëzynn, cette victoire devrait protéger les terres qui sont à ta charge pour au moins...une bonne heure »
« Épargnez-moi vos sarcasmes Tisseur de charmes Olthinn, au moins il ne rapportera pas ce qu’il a vu à ses maîtres. »
L’elfe rit « Ha ! Vous pensez réellement que ce gobelin aurait pu sortir vivant de cette forêt ? »
Eöglyn sourit « Je ne doute pas de la force de la forêt, mais si elle pouvait vraiment se défendre seule, jamais elle nous aurait permis de vivre en elle »
L’elfe s’inclina : « Vous avez bien raison, et d’ailleurs mes dernières visions vont dans votre sens »
« Des visions ? Quelles visions ? »
Le Tisseur de charmes prit son temps avant de répondre, afin de se donner un air plus mystérieux… Olthinn avait toujours eu cette attitude un peu présomptueuse, adage de leurs cousins d’Ulthuan mais ses talents de devin et de mage le rendaient indispensable au clan.
« La forêt m’a montré une tour, non loin d’elle, et sur cette tour repose une pierre blanche, telle le lys. J’ai vu cette pierre être submergée de sang avant de s’ouvrir et de faire pleuvoir un feu noir sur nos demeures… »
La noble observa l’arbre maison qui servait de résidence à son clan. Jamais elle ne permettrait qu’un tel endroit soit souillé.
« La forêt t’a montré comment empêcher cela ? »
Olthinn hocha la tête : « Oui, nous devons nous emparer de la pierre, ainsi je pourrai la détruire et protéger nos foyers »
« Pouvons-nous agir avec discrétion ? »
« Je ne pense pas… je n’arrive pas à situer cette tour… Peut-être devrons-nous attendre que quelqu’un la trouve pour nous. »
« Oui l’idée est bonne…Préparez-vous, Tisseur de charmes, nous partons à l’aube »
L’elfe s’inclina et s’éloigna d’Eöglyn Yëzynn.
Elle continuait d’observer les terres de son peuple. Si elle voulait protéger ses terres et son clan il fallait qu’elle rassemble l’ost. Elle prit le cor qui pendait à sa ceinture et souffla de toutes ses forces.
Une note grave en sortit, et après quelques instants les bois qui l’entouraient s’animèrent en laissant passer des elfes qui étaient invisibles la seconde d’avant.
Des gardes sylvains et des éclaireurs couraient rejoindre leurs maîtresses alors que des forestiers prenaient place dans les arbres proches.
Quelques dryades, peu nombreuses, s’approchèrent à portée de voix, mais restèrent prudemment en retrait dans les bois.
Un groupe de danseurs de guerre arriva, plus en dansant qu’en courant, leur chef s’inclina devant la noble.
Enfin un groupe de chevaliers arriva au galop avec, à leur tête, un cheval seul qui galopa jusqu’à la noble. Elle grimpa dessus avant même que le cheval s’arrête.
«Asrai! Notre demeure est en danger ! D'infâmes gobelins se préparent à mettre la main sur un objet de grande puissance, et veulent s’en servir contre nos foyers ! Je vous le dis : cela ne se passera pas ! Nous ne les laisserons pas mettre la main sur cet artefact ! Préparez vos flèches, préparez vos arcs, préparez vos épées ! Le clan de Sehenlu part en guerre »
Les elfes sylvains crièrent leur soif de combat, leur rage contre la horde maléfique.
La noble ne put s’empêcher d’ajouter avec un certain dégout : « Le sang coulera à flots dans les prochains jours »
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Pendant ce temps, à de nombreuses lieues de là, sur le grand océan.
Une escadre de trois navires à la coque noire s’approchait à toute allure des côtes bretonniennes.
À leur bord on pouvait voir des hommes, des elfes et des nains couverts de haillons, travaillant sous le regard de leurs gardes.
Ceux-ci étaient effrayants à voir, leur peau d’albâtre contrastait avec le noir de leur armure de métal articulé. Sur leurs épaules reposaient des capes en peau de dragon des mers, à leur ceinture pendait tout un lot de dagues ou d’épées courtes. Ils maniaient avec adresse de grands fouets plombés qui arrachaient des cris de douleurs à leurs esclaves et des sourires à leurs propriétaires.
Le capitaine du navire était satisfait, tout semblait leur sourire depuis qu’ils avaient quitté Naggaroth. Enfin presque tout…
Il déglutit en approchant de la proue du navire afin de rejoindre celle qui l’avait entrainé, avec ses hommes, en ces eaux.
L’Elfe noire qui se tenait debout sur le gaillard arrière du navire était l’une des plus belles créatures du vieux monde.
Les quelques tissus pourpres couvrant sa nudité ne faisaient que renforcer cette idée. Même son bâton couvert de gemmes noires semblait être une invitation à la luxure. Mais seul un idiot tenterait sa chance avec ce genre de créature. A peine l’eut il en vue que le capitaine sentit son cœur défaillir, et le sourire de la femme elfe noire ne fit rien pour améliorer son état.
« Maîtresse Shynnaeryl »
La sorcière semblait ne pas l’avoir entendu tellement elle semblait apprécier le spectacle des deux enfants elfes, un frère et une sœur visiblement, lavant le sol du navire devant elle.
« Que désires-tu ? » demanda finalement la sorcière.
« Maîtresse, nous serons bientôt en vue des côtes bretonnes, au sud de la cité de Brionne telle que vous l’avez demandé »
La sorcière sourit de toutes ses dents « Parfait, la maison Freden est très satisfaite de vous capitaine, j’espère que vous survivrez à ce qui va suivre pour… jouir de votre récompense »
« Merci Maîtresse… Pourrais-je d’ailleurs savoir ce qui nous attend ? »
« Oui vous pouvez… Nous sommes à la recherche d’un artefact ancien du peuple elfe. Cette pierre blanche avait été créée bien avant la trahison d’Ulthuan, et ses pouvoirs seraient au-delà de l’imagination… Bien que j’ignore son utilité réelle. »
« Vous ne savez pas à quoi sert cette pierre ? »
À peine eut-il finit cette phrase qu’il savait avoir commis la pire des erreurs…
La sorcière leva la main et des tentacules pourpres jaillirent de ses doigts, enserrant le cou et les membres du capitaine.
L’air lui manqua rapidement et des étoiles commençaient à voleter devant ses yeux. Il entendit de très loin la voix mielleuse de la magicienne.
« En effet je l’ignore… Mais je déteste être mise devant mon ignorance capitaine… J’espère que vous vous en souviendrez »
Elle claqua des doigts libérant la gorge de l’elfe noir qui reprit son souffle à grande respiration.
« J’ai encore besoin de vous vivant, car nous aurons à combattre pour avoir cette pierre »
Le capitaine toussa un peu avant de se relever
« Com... Combattre maîtresse. Comment le savez-vous ? »
Elle fixa de nouveau l’océan en souriant « Un esprit me l’a dit… Mais vous avez douté de nouveau de moi… Je vais devoir vous demander réparation… Faite envoyez ces deux jeunes gens à ma cabine. Je n’ai que trop usé de mes autres *distractions* pendant ce voyage »
« Les...les deux ? Bien maîtresse, il sera fait selon vos désirs »
Le regard terrifié des deux enfants elfes, lorsqu’ils furent emmenés par un corsaire, fut une merveilleuse mise en bouche pour la sorcière.
Elle jeta un dernier regard à l’arrière du vaisseau avant de se rendre à sa cabine.
Elle sourit « Oui… Le sang coulera à flots dans les prochains jours »
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De son point de vue, la sorcière brillait d’une lueur sombre. Il avait craint d’être repéré mais ses défenses magiques n’avaient subi aucune agression.
Mettant fin à son sort de vision de l’esprit, Finer Finatias, Mage de la haute tour d’Hoeth d’Ulthuan, sentit de nouveau la brise océanique faire jouer ses cheveux blonds.
Autour de lui, les gardes maritimes du navire épervier sur lequel il se trouvait, manœuvraient le navire d’une main experte, malgré le pont surchargé d’équipement militaire.
« Alors ? Sommes-nous sur la bonne piste ? »
Le mage se tourna vers l’interrogateur. Celui-ci était un elfe de haute stature, autour de son cou était attaché une peau de lion blanc, son casque laissait échapper quelques mèches de cheveux aussi blonds que ceux du mage. Son armure brillait de mille feux au soleil, tout comme les runes de sa hache à deux mains qui pendait dans son dos.
« Oui commandeur Fanur Calroliel. Nos cousins ne devraient plus tarder à faire escale en Bretonnie. »
« Savent-ils que nous sommes à leur poursuite? »
« Je pense qu’ils se doutent de quelque chose mais sans savoir qui nous sommes »
« Parfait, nous allons nous faire oublier le temps que nous débarquions, puis nous prendrons position autour de la tour de Sariel afin de la défendre. Connaissez-vous un endroit proche de la tour ou nous pourrions mettre nos forces à terre ? »
Le mage réfléchit « le mieux serait le port de Brionne »
« Je ne pense pas que les humains de cette contrée nous laisseront venir dans leur cité en armes »
Finer sourit « Laissez- moi dix minutes avec le maître de cette… ville… Et nous aurons tous les droits de débarquer puisque son roi le lui en aura donné l’ordre… Du moins voilà ce qu’il croira pendant un bon mois, ce qui nous laissera largement le temps de faire ce que nous devons »
Le commandeur grimaça « Je n’aime pas trop faire cela, les humains sont nos alliés et ils risquent de mal le prendre lorsqu’ils découvriront ce que nous avons fait »
Le mage rétorqua d’un ton acide « les humains sont des aveugles ignorants ! Combien de fois avons-nous sauvé leur peuple de la destruction ? Ne tentons-nous pas en ce moment des sauver de nouveau ? Non… on ne peut faire confiance aux hommes, nous ne pouvons compter que sur nous »
Le commandeur Fanur fit quelques pas sur le pont du navire en pensant à ce qu’il venait d’entendre. Les propos du mage étaient globalement vrais et admis par le peuple d’Ulthuan, mais les mots étaient bien sombres dans la bouche du magicien, et cela n’avait fait qu’empirer depuis que le mage avait eu pour mission de les conduire à la tour de Sariel afin de récupérer la pierre Liliale qui reposait sur son sommet. Il faudra le tenir à l’œil.
« Bien » reprit le commandeur « Nous ferons comme vous le proposez, nous vous laisserons *discuter* avec le maître de la ville, puis nous débarquerons afin d’atteindre la tour le plus vite possible… Vous êtes certain de sa position ? »
« En effet, mais elle ne sera visible et accessible que dans quelques jours et pour quelques minutes seulement. Nous devons attendre l’alignement de certaines constellations avant que je ne puisse lancer le rituel de révélation »
«Quelques jours… j’espère que nous tiendrons aussi longtemps, nos ennemis ne reculeront devant rien pour s’emparer de cette relique »
Finer Finatias sourit « Moi non plus je ne reculerai devant rien, mais oui : le sang coulera à flots dans les prochains jours »